Feeling down. Eating a sandwich. You know the deal. Thanks for watching.

Feeling down. Eating a sandwich. You know the deal. Thanks for watching.

Exposition Au Houloc, Septembre 2023

BFF des nappes à carreaux rouge-paysages des premiers RTT, et camarade du travailleur qui casse la croûte. Star interculturelle du manger populaire, je suis un monstre d’inventivité et d’adaptabilité. Ils me ressemblent tous, et pourtant d’aucuns n’ont leurs pareils. Objet fonctionnaliste permettant l’économie du temps, je suis le fils légitime des sucres rapides et des matières grasses. Je trompe vos corps afin de rapidement vous renvoyer à la tâche. La satiété éphémère que je vous laisse est mesquine. Dépendant à mes charmes adipo-pratiques, vous revenez inlassablement vers moi. Vous tentez de combler le vide. Mais je ne suis qu’une forme placebo. Le désir de consommation que vous me portez est effrayant, voire un peu embarrassant… Oui, j’ai bouleversé vos moeurs et transpercé vos coeurs. Car je suis la récompense et la chaîne. Je suis le sandwich, et, moulé dans ma robe de gluten, mes deux triangles pointant, langoureusement allongés de côté sur ce divan qu’est votre assiette, je suis la muse du capitalisme.

Par le biais du foundfootage, du collage et de la mise en récit de l’épopée du Sandwich, cette exposition met en évidence les liens qui existent entre l’iconique gueuletons et le capitalisme. Immersive et jouissive, «Feeling down. Eating a sandwich. You know the deal. Thanks for watching.» expose l’absurdité autodestructrice d’un système qui ne nous veut pas forcément du bien. Patchwork d’images toutes plus révulsantes, grotesques et
dégoûtantes les unes que les autres, elles sont produits et causalités de notre société autophage.
L’un est un régime économique hégémonique valorisant l’individualisme et la surconsommation, l’autre est un régime alimentaire qui frôle la lubie diététique et n’a que faire des bons préceptes de la pyramide des aliments. Objet miroir aux préoccupations croisées, quand l’un veut aller plus vite, l’autre lui fait gagner du temps, et au passage, pas mal d’argent. Si le capitalisme avait un goût, ce serait probablement celui du BLT (bacon, lettuce and tomato), l’en-cas favori des boys club New Yorkais, hauts lieux de convergence des intérêts masculins et du grand capital.

Farine de blé 65%, eau, sucre, huile de colza, sel, vinaigre, levure, farine de fèves, gluten de blé, arôme (contient alcool), extrait d’acérola. “Le bonheur est dans le blé” comme dit la marque. Pour 1,39 € vous acquérez un paquet 14 tranches/550 g de pain de mie Harrys American Sandwich. Florette ou Bonduelle, Pyrénées-Orientales ou Finistère, offrez-vous une belle laitue pour 1,09 € chez Carrefour, celle-là même qui aura coûté moins de 0,60 € à McDonald’s et qui donne des idées noires à Pascal le maraîcher. De sanguine à écarlate, aux mensurations idéales (180 grammes) et cultivable toute l’année : La tomate Admiro développée par Bayer est une tomate de confiance. Le prix de sa rondeur et de ses charmes m’échappe. Vous en couperez 3 à 4 tranches. “Une autre claque la tête de deux porcelets au sol pour les mettre à mort. On le voit ensuite lancer sans ménagement des porcelets vivants dans un bac en plastique”. Feu Filière Préférence d’Herta rebrandé en Filière Engagé et Bon après qu’une association d’activistes antispécistes ait leaké une vidéo
incriminante. Pour 3,49 € vous maltraitez 23,1 millions de cochons. Cuire 4 tranches de bacon et laisser landouce odeur du gras porcin réchauffer votre foyer. Terminer par un dressage à la mayonnaise.

Cette exposition est initiée dans le prolongement du Food&Film, un programme d’art vidéo bimestriel organisé par les Froufrous de Lilith (Bulle Meignan et Camille Zéhenne) à DOC! Métavers, tourisme, animaux, nuit, police … À mi-chemin entre une proposition plastique à part entière et la curation de contenus originaux, le Food&Film prend le temps de s’intéresser à ces thématiques universelles auxquelles on ne réfléchit jamais assez tant elles sont inhérentes à nos existences. Vulgarisateur et philosophique, chaque séance s’accompagne d’une création culinaire à déguster pendant l’entracte, apportant au Food&Film cette dimension multisensorielle et conviviale qui lui est propre.

Texte : Mathilda Portoghese

Photographies : Mathieu Roquigny